Jérôme Le Goff

entre terre et ciel…

Pour Eving Goffman : « le vêtement participe de la théâtralisation de la vie sociale », c’est la mise en scène du moi. Le vêtement rend le corps « spectaculaire », il parle aux yeux, en impose à l’imagination.

Dans cet « Entre terre et ciel » peut-on parler de mise en scène du moi dès lors qu’il semble que l’artiste ait pris le pouvoir ? La neutralité des postures et le regard zéro semblent réifier les personnes qui, placées tels des objets dans des espaces extérieurs ou intérieurs, deviennent des éléments graphiques comme des touches de couleurs sorties de la palette d’un peintre. Leurs robes présentent un design qui se rie du temps comme des modes. Ces vêtements nous sont pourtant familiers car dans l’imaginaire collectif, ils appellent une forme de nostalgie saupoudrée d’ironie. Contrairement au lin qui « se froisse avec noblesse », ces robes au tombé immuable se tiennent à distance de toutes prétentions.

Dans sa vidéo « lotissement », les personnages errent dans un environnement propret, étrange déambulation dans des rues désertées, privées de toute vie standard car on peine à croire que les « enrobés » de Jérôme Le Goff en soient les habitants.

L’insistant « silence » des images vidéo ou photographiques nous plonge dans des questionnements légitimes. Dans une bibliothèque universitaire, les personnages de l’artiste prennent positions telles des pièces sur un échiquier sans pour autant se préoccuper de leur environnement studieux. D’autres individus se sont figés dans un jardin, semblant suspendre leurs activités sans que nous puissions en déterminer la cause. Dans un parc deux hommes se tiennent par la main sans peur, ni joie, ni intimité … leurs émotions sont coupées, le fil de leur histoire nous est inconnue. La lecture des images parait immédiate, les intentions demeurent opaques. Qui sont ces gens ?

Bien que les modèles de robes soient différents, l’uniforme n’est pas loin, ce lissage stylistique induit l’idée de l’existence d’un collectif, d’une tribu voire d’une famille qui partagerait un même ADN. Cette étrange immobilité généralisée, la même vacuité dans le regard, ces êtres interchangeables qui perdent leur humanité à mesure que les interrogations s’accumulent, offrent une composition qui flirte avec le mystère, joue avec une réalité augmentée par l’artiste dans des lieux au passé qui s’efface. A moins que ce dernier ne questionne la nature des relations que nous entretenons avec nos semblables et notre environnement, dans une société qui, bien qu’exaltant les vertus de l’unicité, ne cesse de normer nos goûts et lisser nos personnalités.